POÉSIES

Vous travaillez sur le thème de l’eau et des rivières avec vos élèves ? Pourquoi ne pas faire de ce thème le fil rouge de l’année ? Environnement, sciences, arts et littérature, l’eau a sa place partout et peut dévoiler ses multiples facettes selon le prisme par lequel on l’observe. Elle peut être chimique pour les chercheurs, technique pour les ingénieurs, énigmatique pour les artistes, mythique pour les historiens… Ici, nous vous présentons les œuvres de quelques poètes brillants qui ont tenté de la saisir simplement avec des mots.

 

Pour les plus petits, nous avons des poèmes plus simples dans des ouvrages que l’EPTB propose au prêt gratuitement aux enseignants inscrits au programme pédagogique.

  • « Poèmes sur le fil de l’eau », de Hémène Suzzoni et Lucie Vandevelde, éditions Les P’tits Bérets
  • Enfance en poésie, Florilège « L’eau », illustrations Séverin Millet, éditions Gallimard Jeunesse

 

 

N’hésitez pas à nous communiquer vos classiques ou vos découvertes, afin que nous alimentions cette page et facilitions le travail des enseignants qui chercheraient des poèmes sur le thème de l’eau.

 

PLUIE

Théophile GAUTHIER

Ce nuage est bien noir : - sur le ciel il se roule,
Comme sur les galets de la côte une houle.
L'ouragan l'éperonne, il s'avance à grands pas.
- A le voir ainsi fait, on dirait, n'est-ce pas ?
Un beau cheval arabe, à la crinière brune,
Qui court et fait voler les sables de la dune.
Je crois qu'il va pleuvoir : - la bise ouvre ses flancs,
Et par la déchirure il sort des éclairs blancs.
Rentrons. - Au bord des toits la frêle girouette
D'une minute à l'autre en grinçant pirouette,
Le martinet, sentant l'orage, près du sol
Afin de l'éviter rabat son léger vol ;
- Des arbres du jardin les cimes tremblent toutes.
La pluie ! - Oh ! voyez donc comme les larges gouttes
Glissent de feuille en feuille et passent à travers
La tonnelle fleurie et les frais arceaux verts !
Des marches du perron en longues cascatelles,
Voyez comme l'eau tombe, et de blanches dentelles
Borde les frontons gris ! - Dans les chemins sablés,
Les ruisseaux en torrents subitement gonflés
Avec leurs flots boueux mêlés de coquillages
Entraînent sans pitié les fleurs et les feuillages ;
Tout est perdu : - Jasmins aux pétales nacrés,
Belles-de-nuit fuyant l'astre aux rayons dorés,
Volubilis chargés de cloches et de vrilles,
Roses de tous pays et de toutes famines,
Douces filles de Juin, frais et riant trésor !
La mouche que l'orage arrête en son essor,
Le faucheux aux longs pieds et la fourmi se noient
Dans cet autre océan dont les vagues tournoient.
- Que faire de soi-même et du temps, quand il pleut
Comme pour un nouveau déluge, et qu'on ne peut
Aller voir ses amis et qu'il faut qu'on demeure ?
Les uns prennent un livre en main afin que l'heure
Hâte son pas boiteux, et dans l'éternité
Plonge sans peser trop sur leur oisiveté ;
Les autres gravement font de la politique,
Sur l'ouvrage du jour exercent leur critique ;
Ceux-ci causent entre eux de chiens et de chevaux,
De femmes à la mode et d'opéras nouveaux ;
Ceux-là du coin de l'oeil se mirent dans la glace,
Débitent des fadeurs, des bons mots à la glace,
Ou, du binocle armés, regardent un tableau.
- Moi, j'écoute le son de l'eau tombant dans l'eau

 

 

 

RELATION D'UN VOYAGE DE PARIS EN LIMOUSIN

Jean DE LA FONTAINE (1621-1695)

Arrosant un pays favorisé des cieux
Douce, quand il lui plaît, quand il lui plaît, si fière
Qu'à peine arrête-t-on son cours impérieux
Elle ravagerait mille moissons fertiles
Engloutirait des bourgs, ferait flotter des villes,
Détruirait tout en une nuit : Il ne faudrait qu'une journée
Pour lui voir entraîner le fruit
De tout le labeur d'une année
Si le long de ses bords n'était une levée
Qu'on entretient soigneusement
Dès lorsqu'un endroit se dément,
On le rétablit tout à l'heure,
La moindre brèche n'y demeure,
Sans qu'on n'y touche incessamment,
Et pour cet entretènement,
Unique obstacle à tels ravages,
Chacun a son département,
Communautés, bourgs et villages.
Vous croyez bien qu'étant sur ses rivages,
Nos gens et moi nous ne manquâmes pas
De promener à l'entour notre vue :
J'y rencontrai de si charmants appas
Que j'en ai l'âme encore tout émue.
Coteaux riants y sont des deux côtés ;

 

 

 

LES POISSONS

Jules Supervielle

Mémoire des poissons dans les criques profondes,
Que puis-je faire ici de vos lents souvenirs,
Je ne sais rien de vous qu’un peu d’écume et d’ombre
Et qu’un jour, comme moi, il vous faudra mourir.

 

Alors que venez-vous interroger mes rêves
Comme si je pouvais vous être de secours?
Allez en mer, laissez-moi sur ma terre sèche
Nous ne sommes pas faits pour mélanger nos jours.

 

 

 

LA SOURCE

Edmond VANDERCAMMEN

Voici jaillir tes simples eaux,
Extase encore des ténèbres ;
Au pied d’un saule une fenêtre…
Et c’est la mer et ses vaisseaux.

L’anguille qui déjà repart
Promène un songe dans l’espace ;
Jusqu’aux frontières des Sargasses,
Elle aimera dans ton miroir.

Tu roules les saisons du cœur,
Belle avalanche des vallées,
Neige lascive délivrée
Des hauts sommets de ton bonheur.

Tu viens de plus loin que le vent,
Que l’ombre et ses troupeaux nomades ;
Mais tu sais bien que ta croisade
Est vanité sur l’océan.

Au pied d’un saule, ô simples eaux,
Rêvez quand même de vaisseaux.

Edmond VANDERCAMMEN, L’Étoile du Berger, in Le Livre d’or des poètes (tome 2) Seghers
(poète belge, né en 1901)

 

 

 

LE TORRENT ET LA RIVIÈRE

Jean DE LA FONTAINE (1621-1695)

Avec grand bruit et grand fracas
Un Torrent tombait des montagnes :
Tout fuyait devant lui ; l'horreur suivait ses pas ;
Il faisait trembler les campagnes.
Nul voyageur n'osait passer
Une barrière si puissante :
Un seul vit des voleurs, et se sentant presser,
Il mit entre eux et lui cette onde menaçante.
Ce n'était que menace, et bruit, sans profondeur ;
Notre homme enfin n'eut que la peur.
Ce succès lui donnant courage,
Et les mêmes voleurs le poursuivant toujours,
Il rencontra sur son passage
Une Rivière dont le cours
Image d'un sommeil doux, paisible et tranquille
Lui fit croire d'abord ce trajet fort facile,
Point de bords escarpés, un sable pur et net.
Il entre, et son cheval le met
A couvert des voleurs, mais non de l'onde noire:
Tous deux au Styx allèrent boire ;
Tous deux, à nager malheureux,
Le chant des eaux
Allèrent traverser au séjour ténébreux,
Bien d'autres fleuves que les nôtres.
Les gens sans bruit sont dangereux:
Il n'en est pas ainsi des autres.

 

 

 

DESTIN D’UNE EAU

Raymond Queneau

Où cours-tu, ru ?

où cours-tu, ru,

au fond des bois ?

agile comme une ficelle

tu coules liquide étincelle

qui éclaire les fougères

minces souples et légères

abandonnant derrière toi

la mobile splendeur des bois

 

où cours-tu, ru ?

où cours-tu, ru,

du fond des bois ?

tu te précipites à la mort

tu perdras tes eaux vivaces

dans un courant bien plus fort

que le tien qui se prélasse

au pied des fougères

minces souples et légères

ignorant sans doute tout ce qui t’attend

la rivière le fleuve et le dévorant océan.

 

 

 

LA SOURCE

Théophile GAUTIER (1811-1872)

Tout près du lac filtre une source,
Entre deux pierres, dans un coin ;
Allègrement l'eau prend sa course
Comme pour s'en aller bien loin.
Elle murmure : Oh ! quelle joie !
Sous la terre il faisait si noir !
Maintenant ma rive verdoie,
Le ciel se mire à mon miroir.
Les myosotis aux fleurs bleues
Me disent : Ne m'oubliez pas !
Les libellules de leurs queues
M'égratignent dans leurs ébats :
A ma coupe l'oiseau s'abreuve ;
Qui sait ? - Après quelques détours
Peut-être deviendrai-je un fleuve
Baignant vallons, rochers et tours.
Je broderai de mon écume
Ponts de pierre, quais de granit,
Emportant le steamer qui fume
À l'Océan où tout finit.
Ainsi la jeune source jase,
Formant cent projets d'avenir ;
Le chant des eaux
Comme l'eau qui bout dans un vase,
Son flot ne peut se contenir ;
Mais le berceau touche à la tombe ;
Le géant futur meurt petit ;
Née à peine, la source tombe
Dans le grand lac qui l'engloutit !

 

 

 

LA SOURCE TOMBAIT DU ROCHER

Victor HUGO (1802-1885)

La source tombait du rocher
Goutte à goutte à la mer affreuse.
L'océan, fatal au nocher,
Lui dit : - Que me veux-tu, pleureuse ?
Je suis la tempête et l'effroi ;
Je finis où le ciel commence.
Est-ce que j'ai besoin de toi,
Petite, moi qui suis l'immense ? -
La source dit au gouffre amer :
- je te donne, sans bruit ni gloire,
Ce qui te manque, ô vaste mer !
Une goutte d'eau qu'on peut boire.

 

 

 

LA RIVIERE

Robert Desnos

D’un bord à l’autre bord j’ai passé la rivière,
Suivant à pied le pont qui la franchit d’un jet
Et mêle dans les eaux son ombre et son reflet
Au fil bleui par le savon des lavandières.

J’ai marché dans le gué qui chante à sa manière.
Étoiles et cailloux sous mes pas le jonchaient.
J’allais vers le gazon, j’allais vers la forêt
Où le vent frissonnait dans sa robe légère.

J’ai nagé. J’ai passé, mieux vêtu par cette eau
Que par ma propre chair et par ma propre peau.
C’était hier. Déjà l’aube et le ciel s’épousent.

Et voici que mes yeux et mon corps sont pesants,
Il fait clair et j’ai soif et je cherche à présent
La fontaine qui chante au cœur d’une pelouse.

 

 

LE CHANT DE L'EAU

Emile Verhaeren (1855-1916)

L'entendez-vous, l'entendez-vous
Le menu flot sur les cailloux ?
Il passe et court et glisse
Et doucement dédie aux branches,
Qui sur son cours se penchent,
Sa chanson lisse.

Là-bas,
Le petit bois de cornouillers
Où l'on disait que Mélusine
Jadis, sur un tapis de perles fines,
Au clair de lune, en blancs souliers,
Dansa ;
Le petit bois de cornouillers
Et tous ses hôtes familiers
Et les putois et les fouines
Et les souris et les mulots
Ecoutent
Loin des sentes et loin des routes
Le bruit de l'eau.

Aubes voilées,
Vous étendez en vain,
Dans les vallées,
Vos tissus blêmes,
La rivière,
Sous vos duvets épais, dès le prime matin,
Coule de pierre en pierre
Et murmure quand même.
Si quelquefois, pendant l'été,
Elle tarit sa volupté
D'être sonore et frémissante et fraîche,
C'est que le dur juillet
La hait
Et l'accable et l'assèche.
Mais néanmoins, oui, même alors
En ses anses, sous les broussailles
Elle tressaille
Et se ranime encor
Quand la belle gardeuse d'oies
Lui livre ingénument la joie
Brusque et rouge de tout son corps.

Oh! les belles épousailles
De l'eau lucide et de la chair,
Dans le vent et dans l'air,
Sur un lit transparent de mousse et de rocailles ;
Et les baisers multipliés du flot
Sur la nuque et le dos,
Et les courbes et les anneaux
De l'onduleuse chevelure
Ornant les deux seins triomphaux
D'une ample et flexible parure ;
Et les vagues violettes ou roses
Qui se brisent ou tout à coup se juxtaposent
Autour des flancs, autour des reins ;
Et tout là-haut le ciel divin
Qui rit à la santé lumineuse des choses !

La belle fille aux cheveux roux
Pose un pied clair sur les cailloux.
Elle allonge le bras et la hanche et s'inclina
Pour recueillir au bord,
Parmi les lotiers d'or,
La menthe fine ;
Ou bien encor
S'amuse à soulever les pierres
Et provoque la fuite
Droite et subite
Des truites
Au fil luisant de la rivière.

Avec des fleurs de pourpre aux deux coins de sa bouche,
Elle s'étend ensuite et rit et se recouche,
Les pieds dans l'eau, mais le torse au soleil ;
Et les oiseaux vifs et vermeils
Volent et volent,
Et l'ombre de leurs ailes
Passe sur elle.

Ainsi fait-elle encor
A l'entour de son corps
Même aux mois chauds
Chanter les flots.
Et ce n'est qu'en septembre
Que sous les branches d'or et d'ambre,
Sa nudité
Ne mire plus dans l'eau sa mobile clarté,
Mais c'est qu'alors sont revenues
Vers notre ciel les lourdes nues
Avec l'averse entre leurs plis
Et que déjà la brume
Du fond des prés et des taillis
S'exhume.

Pluie aux gouttes rondes et claires,
Bulles de joie et de lumière,
Le sinueux ruisseau gaiement vous fait accueil,
Car tout l'automne en deuil
Le jonche en vain de mousse et de feuilles tombées.
Son flot rechante au long des berges recourbées,
Parmi les prés, parmi les bois ;
Chaque caillou que le courant remue
Fait entendre sa voix menue
Comme autrefois ;
Et peut-être que Mélusine,
Quand la lune, à minuit, répand comme à foison
Sur les gazons
Ses perles fines,
S'éveille et lentement décroise ses pieds d'or,
Et, suivant que le flot anime sa cadence,
Danse encor
Et danse.

 

 

 

LA RIVIÈRE ENDORMIE

Claude Roy

Dans son sommeil glissant l’eau se suscite un songe
un chuchotis de joncs de roseaux d’herbes lentes
et ne sait jamais bien dans son dormant mélange
où le bougeant de l’eau cède au calme des plantes

La rivière engourdie par l’odeur de la menthe
dans les draps de son lit se retourne et se coule
Mêlant ses mortes eaux à sa chanson coulante
elle est celle qu’elle est surprise d’être une autre

L’eau qui dort se réveille absente de son flot
écarte de ses bras les lianes qui la lient
déjouant la verdure et l’incessant complot
qu’ourdissent dans son flux les algues alanguies

 

 

 

D’UNE FONTAINE

Philippe DESPORTES

Cette fontaine est froide, et son eau doux-coulante,
À la couleur d’argent, semble parler d’amour :
Un herbage mollet reverdit tout autour,
Et les aulnes font ombre à la chaleur brûlante.

Le feuillage obéit à Zéphyr qui l’évente,
Soupirant, amoureux, en ce plaisant séjour ;
Le soleil clair de flamme est au milieu du jour,
Et la terre se fend de l’ardeur violente.

Passant, par le travail du long chemin lassé,
Brûlé de la chaleur, et de la soif pressé,
Arrête en cette place où ton bonheur te mène.

L’agréable repos ton corps délassera,
L’ombrage et le vent frais ton ardeur chassera,
Et ta soif se perdra dans l’eau de la fontaine.